On revoit les mêmes personnes quasiment tous les jours. Un bout de chemin passé à bavarder ensemble, des échanges sur l’équipement, puis Deux Questions Pèlerines : d’où viens-tu, où vas-tu aujourd’hui (à Fort William, tous les jours à Fort William, me répondait un homme) ? On ne demande jamais le nom, il n’y a pas non plus de « hello » qui se terminerait par un « goodbye ». A quoi bon ? La marche nous sort de ces codes de la société. On dépasse les autres, on se fait dépasser par les autres puis on les rattrape – il y a une certitude que de toute façon la route nous permettra de nous revoir. Il n’y a pas donc besoin d’échanger les noms : les autres marcheurs sont pour nous comme des personnes, de même nous pour eux et, même si chacun fait son cheminement intérieur, nous sommes tous pris dans le même récit. La Route nous a en son pouvoir, nous fait respecter ses humeurs et suivre ses rituels. C’est elle, notre narrateur.

De temps en temps, chacun peut poser son caillou sur un tas au bord du chemin. On crée des cairns et c’est peut-être cela, la spiritualité de la marche : sentir qu’il y a quelque chose qui est plus grand que nous, qu’on y participe et que le parcours individuel est signifiant, il vaut la peine car il y a un petit espoir qu’un jour nos pas puissent réparer, resouder le monde.