En plein milieu de la forêt qui pousse sur les collines entourant le Loch Ness, sur un sentier étroit bordé de trèfles, après une longue montée, entre deux routes goudronnée… bref, par-là, le lieu pour quelqu’un ne connaissant pas ce territoire le plus proche de nulle, se trouve un panneau : « real tea, real coffee ». Curieux, on continue à s’enfoncer dans la forêt. Le sentier est ombragé par le feuillage des arbres qui crée une sorte de tunnel dont on ne voit pas le bout. D’autres panneaux suivent : « grandma Julie’s famous lemon drizzle cake » ; « beans on toast » ; « take a break ». On avance comme deux enfants perdus dans la forêt et qui ont trouvé enfin quelques indices, ignorant encore que cela peut bien être une Baba Yaga nous attirant avec ses sucreries. A chaque fois que l’on commence à doute si l’on va vraiment y arriver, un autre panneau indique le chemin – au bout, on trouve finalement un portail construit en bois avec plusieurs panneaux invitant à passer le seuil. On échange un regard, puis on y entre.

On se dirige vers la maison, ou ce qui en est proche, en passant à côté des pots de thé et des tasses cassés suspendus sur les branches. Des petites phrases rimées sont accrochées par-ci par-là sur les troncs d’arbres. « Go to the bell to order », voit-on sur un panneau, puis sur un autre « Ring the bell ». Une fois devant la grille, c’est bien ce qu’on fait. Comme par un coup de bâton magique, une femme apparaît, nous demande si l’on n’est pas trop fatigué, si l’on a faim, si l’on veut rester pour la nuit… On lui raconte nos aventures, à chaque phrase presque elle rit et s’exclame « beautiful, beautiful ». On échange encore autre regard et on répond « oui » à toutes ses questions, oui, on a faim, on restera pour la nuit, on mangera bien quelque chose. Oui, le « real food » – il semblait que nous, citadins, on avait besoin « du vrai ».

Le reste se passe comme une scène de théâtre préparée longtemps à l’avance. On nous indique l’endroit où planter notre tente, on nous dit qu’on nous appellera une fois le repas prêt. « Will I hear you », demande-je, à quoi un homme ventru avec une longue barbe blanche répond « Oh yes you will ». En effet, j’entends à un moment mon nom et je suis la voix basse de monsieur vu il y a un instant. J’arrive sur une clairière et là, personne : seulement une table dressée avec une soupe de poireaux et de pommes de terre, quelques crackers avec du cheddar, des tomates cerises, un thé à la menthe et au miel, un chocolat chaud… et bien entendu, une bonne part de grandma Julie’s famous lemon drizzle cake !

Savait-on combien tout cela allait coûter ? On n’avait posé la question, sans réponse – le monde de l’argent était loin, très loin. On a quitté nos peaux d’homo economicus et on s’est laissé emporter par le moment. Il n’y avait qu’un accueil chaleureux et une promesse de repos. You’ll pay later if the card machine works, or you’ll wash the dishes, nous a-t-on annoncé.

En fin de repas, le vent a apporté les sons lointains d’une cornemuse.