A sa naissance, l’opéra fût proclamé un art total, car convoquant plusieurs domaines: le chant, la danse, le travail sur le décor et la chorégraphie, la poésie. Au moment de sa crise (après la mort de Puccini en début du XXème siècle) c’est le 7ème art qui a pris la suite. On l’oublie parfois, en voyant les films seulement comme des histoires racontées avec des images mouvantes. Or le nouveau film de Leos Carax nous prouve clairement que la séance au cinéma peut être une expérience totale.
Le film, intitulé Annette, a été projeté hier soir après la Cérémonie d’ouverture du Festival de Cannes. Pour faire court, je dirais que je n’ai jamais vu de film que m’a autant fait participer. C’était une sorte d’opéra mis au cinéma, le spectacle qui s’approchait de l’expérience cathartique propre à la tragédie grecque. Mais, sans faire des spoilers, allons un peu plus dans les détails.
C’est une histoire d’amour entre Ann, cantatrice d’opéra, et Henry, comédien. Les deux sont aux sommets de leurs carrières et tombent fou amoureux l’un de l’autre. Ils ont une petite fille, qui s’appelle Annette et qui est… une poupée. Est-ce une représentation de l’art, un commentaire non seulement de la vie des stars mais aussi du statut actuel de l’art lui-même? La fille est née des parents qui sont leurs opposés: un dit tuer en faisant les gens rire, l’autre sauve les spectateurs en mourant elle-même sur scène. Il y a une mise en abyme constante : dès le début, la voix de l’intermittent nous demande de retenir notre souffle pendant le spectacle qui est sur le point de commencer; pendant les sketchs d’Henry le public participe en chantant; les personnages sont conscients de dialoguer par des chansons (qui, cela dit, représentent 95 pour cent des dialogues). Mais il y a aussi l’abîme (de désespoir), intrinsèquement lié à l’amour fou et qui semble au début idéal: comme le montre l’affiche, c’est une valse dansé sur la mer déchaînée, entre l’ivresse de la joie et l’abîme de la folie.
Annette est un film époustouflant visuellement et les chansons écrites par le groupe Sparks emportent les spectateurs et cassent à plusieurs reprises le quatrième mur. Ayant vu des extraits de Holy Motors, (le précédent film de Leos Carax), dans aussi celui-ci je retrouve ce même goût d’étrange et d’obscur: c’est à la fois très beau, dynamique; et assez sombre ou glauque. Une nouvelle voie pour le musical.
Au rythme déjanté et filmé avec audace, Annette mêle le spectacle et l’amour (qu’est-ce qui est vrai, qu’est-ce qui ne l’est pas?) en une expérience totale qui engage tous les sens. Le cinéma est toujours vivant et se porte bien: j’avais l’impression non pas de voir une comédie musicale ou un enchainement d’images mouvantes, mais quelque chose de vivant. Un spectacle-événement, auto-réflexif pour les spectateurs et parfait pour l’ouverture du Festival de Cannes. En attendant qu’il entre dans les salles, allez voir la bande annonce (avec sous-titres polonais):