J’ai passé le début de cet été sous le signe de festivals de cinéma: d’abord Tofifest, ensuite Cannes, ce qui signifie que des journées entières coulaient dans le rythme des films regardés. Mais, en fait, quelle en était l’utilité? En quoi est-il encore pragmatique de rester pendant des heures dans les salles de cinéma?

Dès les commencements de ma passion pour le septième art j’avais l’habitude de regarder quelques films par semaine dans les trois salles de cinéma à Aix en Provence. C’étaient parfois des films que je n’aurais pas regardé à un autre moment, je le savais: les sorties de la semaine pour lesquels on s’excite sur le coup et on les oublie après. Attendez, est-ce qu’on les oublie ? Non, on continue plutôt à échanger sur l’esthétique des scènes, on discute sur la technique de la narration, on analyse la psychologie des personnages. On amasse des nuages de références. Et puis tout revient, comme de la pluie.

Je vais donc souvent au cinéma car, non comme le prophétisent certains, cet art n’est pas encore mort. Une expérience de la salle, cette immersion dans un autre univers (voir mon post sur Annette), est toujours une chose que l’on ne peut pas vivre individuellement, chez soi. C’est une ouverture, un lâcher prise où on se laisse bercer par les flots de l’imagination de quelqu’un d’autre, et cela collectivement, ensemble. Les festivals en sont des points culminant.

Mais comment choisir un film lorsqu’on est, par exemple, à Cannes, avec un pass de trois jours seulement? Personnellement, j’étais un peu (beaucoup) désorienté. La vérité est que l’on ne sait pas où aller. On peut être fan d’un réalisateur comme Wes Anderson et aller voir son nouveau film (The French Dispatch), si on a les places c’est un coup de chance. Notre regard peut aussi survoler un titre dans une langue que l’on ne connait pas (comme le norvégien) et de cette manière rater une œuvre dont tout le monde ensuite fait l’éloge (Julie en 12 chapitres de Joachim Trier). Alors, faut-il se fier aux avis des critiques et aller voir des films qu’ils conseillent dans sur les sites web? Non, car ça n’a pas autant d’importance.

Après la première journée du Festival de Cannes je me suis dit que, en effet, ce n’était pas grave si j’allais voir un film ou un autre. Des scènes qui nous font sortir de la salle? OK. Une narration haletante que l’on doit quitter pour partir au gala? Ca va, car on y a au moins goûté. Un film sur la politique d’un pays qui nous est lointain? C’est bien, car on peut le découvrir et sinon la technique de la réalisation est quelque chose d’universel. Un autre film dont on n’a aucune idée de quoi il parle? Encore mieux.

Ce que je veux dire par là, c’est qu’il a un grand intérêt (mais pas dans le sens du monde intéressé, du profit) à découvrir des œuvres d’art qui ne nous concernent pas sur le premier abord. Ce n’est pas une relation d’investissement et du rendu que l’on tisse avec un film, mais une relation basée sur la sensibilité.

Le cinéma est un moyen de s’exercer dans notre sensibilité. Et comment grandir autrement si ce n’est pas en élargissant de plus en plus notre sensibilité du monde? Quoi de plus pragmatique?

Une scène, un dialogue ou les couleurs employées par le réalisateur peuvent changer notre manière de voir les choses. C’est pour cela que regarder un film dont on ne sait rien (ce qui représente un infini de possibilités) n’est pas une perte de temps – d’ailleurs, la perte du temps est une notion de la société technocrate et utilitariste. Bien au contraire, le cinéma touche en nous des cordes profondes et nous permet ainsi de sortir de nous mêmes. Et, heureusement, les festivals nous permettent encore de sortir dehors – c’est ainsi que le cinéma reste toujours quelque chose de collectif et de vivant.