L’année dernière on a tous été soulagés que le Festival de Cannes ait été bien maintenu, bien que reporté à juillet. Mais en 2022, la grande fête du cinéma sur la Côte d’Azur est réellement de retour, cette fois-ci pour le mois de mai. Le château, ou l’église du cinéma, selon les mots de James Gray lors de la première d’Armaggedon Time, retrouve sa gloire d’antan, ses journées remplies de films et ses salles pleines de spectateur. En l’espace de peu de jours, on se sent à nouveau participer dans quelque chose de grandiose et collectif – on vous dit nos impressions en quelques mots et quelques films !

Le Festival s’est ouvert (après la cérémonie incluant le discours du président ukrainien Volodymyr Zelensky) avec Coupez ! de Michel Hazanavicius. Quoi de mieux pour ouvrir le bal qu’un regard dégentée sur le cinéma et ses coulisses ? Le méta commentaire y est omniprésent. Le potentiel de cette comédie hilarante est caché sous des airs d’un film de série B : tout d’abord, on regarde un plan-séquence de trente minutes, lors de laquelle tout part en miettes. Les acteurs ne croient plus à leurs rôles, le scénario ne fonctionne pas, le réalisateur s’invente nécromancien pour rendre son film sur les zombis plus crédible. Et comme tout cela se passe lors d’un tournage, les méta commentaires sur le travail dans le cinéma abondent.

Passons maintenant aux films qu’on a réussi à voir – le système de réservation connaissant cette année des difficultés, cela a été une vraie chance de connaître au moins un titre de chaque sélection. Voici donc notre sélection après ces quelques jours à Cannes :

La Sélection Officielle semble être, par rapport à l’année dernière, plus extravagante et éclectique. Elle a commencé avec Zhena Chaikovskogo, qui nous séduit par sa virtuosité plastique et ses airs d’opéra. Kirill Serebrennikov, après La Fièvre de Petrov présentée en 2021, livre ici un film spectaculaire sur l’amour obsessionnel de la femme de Tchaïkovski, ressemblant à une mouche irritante qui est d’ailleurs un leitmotiv de la narration. Mais le deuxième film de la sélection, Le Otto Montagne, plus personnel, nous touche plus : adaptation cinématographique d’un bestseller italien du même titre, il narre l’amitié sincère entre deux garçons qui commence dans un petit village des Alpes, lieu même dans lequel leur amitié ne cessera de se perpétuer. La narration se composte de trois niveaux : voix-off de Pietro, se cherchant à travers le monde ; la diégèse du film présentant Bruno, resté en bon montagnard dans son village, tentant de cultiver l’ancien mode de vie qui disparaît ; et les chansons qui, avec les plans généraux des Alpes, marquent la grandeur de l’amitié entre les deux. Simple et tellement beau, on est bercé par ses images.

C’est EO, le nouveau film du réalisateur polonais Jerzy Skolimowski, qui assure donner un coup de sabot à une sélection qui se voudrait trop sage. Véritable gageure pour le cinéma, le réalisateur bouleverse les jeux de point de vue en choisissant de nous montrer le monde – avec nos vices humains – à travers les yeux d’un âne ! Même si vous avez pas regardé Oh hasard, Balthasar! Ou lu Platero y yo, ce film provoquera en vous un changement de perspective de par son esthétique.

Armageddon Time de James Gray est, comme Licorice Pizza (selon nous un de meilleurs films de cette année), une immersion dans une époque donnée, qui est cette fois-ci les années 80’ à New York – le réalisateur revient ainsi sur son enfance. Et il n’y a pas besoin d’intrigue ou autres tours de scénariste ; la vie, captée ou plutôt reproduite par la caméra, se suffit à elle-même. Ce n’est malheureusement pas le cas de Frère et Sœur d’Arnaud Despleschin qui, à notre goût, force trop le scénario et les traits de ses personnages. Le film, partant d’une haine latente (à la fois banale et féroce) entre un frère et une sœur, tourne cependant au drame bourgeois de deux riches Parisiens avec des rôles clichés– elle, actrice exaltée, lui, écrivain alcoolique. Est-ce que la performance des acteurs sauvera le film ?

On a terminé nos jours à Cannes par Triangle of Sadness, une critique farouchement comique des riches qui ont fait leur fortune de manières diverses – mannequins, vendeurs d’armes et de munitions, d’engrais… Composé de trois chapitres, le film est une réelle descente aux Enfers révélatrice des vices et de la superficialité de ce monde peu glorieux. Certains dialogues sont prolongés jusqu’au ridicule ; mais, attendez le moment où le monde sera mis à l’envers !

N’ayant pu voir que quelques-uns des films de la sélection officielle nous pouvons seulement déduire qu’il s’agit là d’une année toute particulière pour le Festival de Cannes et le monde du cinéma. Cependant le voyage cinématographique n’est pas fini pour nous – ni pour vous – puisque nous avons également eu le plaisir de regarder des films d’autres sélections ! La sélection officielle n’est pas tout, regardons ce qui se passe en même temps.

L’Envol, un deuxième film de Pietro Marcello (après Martin Eden qui nous a complètement subjugué), a cette année ouvert la Quinzaine des Réalisateurs. Sous des allures de conte ce film nous transporte dans la campagne française d’après-guerre où s’opposent un monde rationnel et un autre, où le souvenir frais des horreurs de la guerre n’a pas pour autant fait taire les chansons et les histoires de magie. La manière de montrer la Nature rappelle les mouvements de la caméra dans les films de Terrence Malick, mais l’image ici tremble un peu, ce qui rend cette vision plus fragile et moins idéalisée.

A Cannes, c’est souvent la billetterie qui dirige notre sort, et il faut parfois se laisser aller, en se disant « voilà, je ne pensais pas le voir, mais pourquoi pas, je prends un billet, puisqu’une place vient de se libérer ». C’était le cas de Les Harkis de Philippe Faucon, une œuvre qui aurait pu tourner en un simple film de guerre, mais a choisi une narration plus humaine, faite à travers les regards et les silences. Une œuvre importante éclairant une situation toujours difficile des Algériens ayant participé dans la guerre d’Algérie du côté français. La narration minimaliste rend cette histoire de trahison universelle, et pas limitée à la politique d’un seul pays.

Ce qui est superbe dans la Quinzaine des Réalisateurs, la Semaine de la Critique et l’Acid, c’est la possibilité de voir, rencontrer plus facilement les artistes, en rentrer en discussion avec eux. On a pu poser quelques questions à Damien Mazavel, présentant la méditative Magdala dans le cadre de l’Acid, et voir Jesse Eisenberg partager ses émotions sur le fait d’avoir la première de son premier long métrage (intitulé When You Finish Saving The World) à Cannes. Côtoyer les artistes, et pas juste voir les célébrités monter les marches, est une partie du Festival à ne pas rater.

Il y a également la sélection parallèle à la sélection officielle, mais qui présente des films plus audacieux, touchant à des sujets moins évidents – il s’agit d’Un Certain Regard. On a pu voir juste un seul titre dans la sélection, qui était Plus que jamais avec le regretté Gaspard Ulliel et Vicky Krieps (jouant également dans Corsage, un autre film de la sélection). C’est un véritable tear-jerker sur une femme qui, atteinte d’une fibrose pulmonaire idiopathique, décide de quitter son milieu, son mari (l’acceptation de cette séparation est lente comme le film même) et partir en Norvège pour respirer et sentir pleinement son corps. Déchirant.

Ce n’est pas encore fini – il y a des films Hors Compétition, d’autres qui font tout simplement leur première à Cannes, ou des classiques, rétrospectives de réalisateurs, sans parler du Cinéma de la Plage. Mais on ne va pas tout raconter, laissons les histoires au djinn dans le film absolument envoûtant qu’est Three Thousand Years of Longing de George Miller…

James Gray avait raison, en parlant du château, de l’église du cinéma qu’est Cannes : on a envie d’y participer, d’y faire notre pèlerinage et, une fois sur les lieux, à faire des aller-retours sur la Croisette, on est transporté par cette énergie toute particulière.

Bref, deux jours avant la fin, on a hâte de connaître les palmarès !

Edwige Medioni et Mikołaj Wyrzykowski