La 50ème édition du Festival du Nouveau Cinéma s’est terminée fin d’octobre 2021. Certains films avaient déjà été présentés en automne, d’autres font leur entrée dans les salles cet hiver. On connaît les prix : pour en nommer seulement deux, Great Freedom a remporté la Louve d’Or en compétition internationale et en compétition nationale le prix a été décerné à Night Riders. Le premier, par un drame carcéral historique, suit l’histoire d’un jeune allemand homosexuel en Allemagne de l’Ouest ; le second est une fable située dans l’avenir qui illustre l’oppression des autochtones dans le passé et maintenant. Deux sujets très travaillés en ce moment, deux façons de les présenter sur l’écran. Mais d’autres enjeux propres au cinéma actuel sont également traités et le visionnage de quelques films de la compétition nationale nous a permis – nous semble-t-il – de saisir les préoccupations communes des cinéastes : tous, commençant souvent par la mort du père ou une fuite de son pouvoir, dessinent l’itinéraire d’un étranger faisant face à un nouveau territoire qui, finalement, s’avère être sa terre-mère avec laquelle il tente de renouer une relation.
Cette problématique concerne plusieurs films présentés lors du FNC. Nous avons cependant choisi de nous concentrer sur quatre d’entre eux, à savoir Nouveau-Québec, La contemplation du mystère, Les Oiseaux ivres et Wildhood. Dans Nouveau-Québec la réalisatrice Sarah Fortin met en scène la cohabitation difficile au sein même du territoire, à savoir Schefferville, entre les autochtones (les Innus de Matimekush-Lac John et les Naskapis de Kawawachikamach) et les Québécois allophones. C’était à l’époque un terrain d’exploitation minière – les activités de la compagnie canadienne Iron Ore arrêtées en 1982, la ville a été abandonnée par beaucoup. Sarah Fortin est attirée par ce non-lieu et par sa beauté difficile ; elle montre sur l’écran l’exploitation du territoire, la détresse des habitants vivant comme enchainés à cette parcelle urbanisée de la terre et la relation presque impossible entre les allophones et les autochtones. Le cadre de ce drame est préparé par l’évènement déclencheur, à savoir la mort du père, qui force un couple de citadins à revenir sur ces terres. Le même tour est joué par Albéric Aurtenèche dans La contemplation du mystère : Eloi Cournoyer (Emmanuel Schwartz) part rejoindre les chasseurs de l’Ordre de saint Hubert pour découvrir les relations obscures de ces hommes avec son père, maintenant mort. Le séjour dans la forêt profonde entremêle les légendes locales au mysticisme et au trip de drogues dures. Méfiance envers cet étranger qu’est Eloi et secrets cachés par les chasseurs paraissent comme une transposition dans un autre territoire des mêmes problèmes que doivent affronter les protagonistes de Sarah Fortin. L’enjeu commun subit encore une autre transformation dans Les oiseaux ivres (candidat canadien pour les Oscars) : le drame à la fois social (les Mexicains travaillant au Québec) et sentimental (l’amour impossible qui condamne les personnages à l’exil). Mais c’est dans Wildhood que l’itinéraire de l’étranger tentant de nouer une relation avec un nouveau territoire est le plus (et probablement trop) claire : fuyant son père apodictique, Link (quel nom parlant) part avec son frère à la recherche de sa mère disparue il y a des années. Cette initiation présentée sous forme de coming-of-age story et de road-movie, est pour lui une occasion de retrouver sa vraie appartenance (il est un Mi’kmaw, même s’il teint ses cheveux en blond) ainsi que son orientation sexuelle (par la rencontre fortuite avec un danseur aux deux-esprits, à savoir féminin et masculin).
Soit par les longues séquences d’une fuite ou d’une traversée, soit par le portrait plus stable de personnages coincés par les circonstances au sein d’une nouvelle communauté, les quatre titres présentent d’un côté un attachement au territoire local avec l’identité qui y demeure fixé, et de l’autre mettent en scène une figure de l’étranger qui dérange, qui veut appartenir, et qui perce finalement les secrets dont le contexte lui était auparavant inconnu. Néanmoins, est-il réellement possible de renouer avec un territoire exploité, réparer la relation avec une communauté blessée, retrouver une mère ou une amante perdue, comprendre la mort du père ? Y a-t-il, pour un personnage pris dans ce réseau d’impasses, une voie de libération possible ?
Dans Les oiseaux ivres l’étude de la figure de l’étranger par la représentation des corps dans l’espace est évidente : la ligne de travailleurs mexicains étroitement serrés est face au fermier québécois (l’un des meilleurs dans la région, car offrant à ses employés des roulottes où ils peuvent dormir) ; dans une autre scène on voit une ligne de Québécois, une ligne de Mexicains. Entre les uns et les autres, chaque rencontre plus proche paraît comme une transgression – ce qu’illustre la romance de l’épouse du fermier avec un des travailleurs dans le passé, et la tentative d’aide à sa fille qui finit de façon désastreuse pour Willy, le protagoniste principal. De même dans Nouveau Québec où les deux personnages, coincés dans la région isolée du reste du pays, affrontent leurs démons intérieurs et la communauté des habitants qui paraissent hostiles : au sein du couple, l’homme présente un stéréotype de celui qui se replie sur lui-même, et finit par être haï par « les Indiens » (terme péjoratif qu’il emploie) qu’il hait tout autant ; en même temps la femme se lie d’amitié à l’un des hommes qui connaissaient son père, et qui l’emmène à la découverte du territoire, occasion pour rencontrer les autochtones de deux communautés de Nunavik (Nouveau-Québec). Cependant, la relation demeure impossible, autant sur le plan collectif que sur le plan personnel – la citadine ne restera pas à Schefferville, un allophone ne pourra pas entrer dans un hôpital pour les autochtones. Dans La contemplation du mystère Eloi fait la même trajectoire de la ville vers la province (cette fois la forêt). Il est donc vu par les chasseurs comme un citadin faible et maladroit. Mais il y a l’Autre qui s’oppose à lui : un certain étranger nommé l’Indien, maître envié de la chasse. Les deux sont liés par la figure de la Diane chasseresse jouée par Sarah-Jeanne Labrosse. Peuvent-ils échanger de positions ? Le jeune adepte peut-il appartenir à cette communauté forestière comme son père ?
La fin poétique de Wildhood semble, quant à elle, montrer le mieux la possibilité d’une relation où les deux frères, liés par la même quête, dansent sur la plage en imitant les pas de Travis, danseur Mi’kmaw, même si l’itinéraire central souffre de longueurs. Les trois sont emportés par le même rythme et il semble qu’il n’y ait besoin de rien de plus – pas de formes figées, de définitions, de dichotomies. Vouloir trop unifier deux choses opposées force parfois une communion, une cohabitation, ce qui ne fait qu’accentuer les différences. Les problèmes sont évidents, les solutions pas tant. Que faire ? Au lieu d’une union artificielle il vaut mieux trouver un point de rencontre et accepter, dans le dialogue que présente le cinéma, l’impossibilité d’une relation pour la rendre naturelle. L’ami d’Eloi dans La contemplation du mystère nous révèle le message (qui est possiblement la clé sans en être une) reçu lors de son trip : « l’évidence t’aveugle, mais l’évidence n’est pas la vérité ».
Mikołaj Wyrzykowski et Edwige Medioni